Les « Marches des salopes », la liberté contre les stéréotypes

Publié le par nidieuxnimaitrenpoitou.over-blog.com

 

Le mouvement est parti de Toronto le 3 avril. De Boston à Séoul en passant par Rio, des « slutwalks » ont à ce jour eu lieu dans 70 villes. L’objectif : lutter contre les agressions sexuelles, en revendiquant une totale liberté vestimentaire.

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Une jeune femme participe à une «marche des salopes», le 16 juillet 2011 à Séoul

« Slutwalks ». Traduisez « Marches des salopes ». Depuis le mois d’avril, le concept prend forme dans plusieurs pays, de l’Amérique du Nord à l’Asie. Dernière en date : Séoul, Corée du Sud, le 16 juillet dernier. Ce jour là, 70 personnes — des femmes principalement, mais aussi quelques hommes — sont descendues dans la rue en talons, à demi-vêtues, manifestant pour « le droit de porter ce que nous aimons ».

À l’origine de cette revendication, des propos tenus par un policier canadien, Michael Sanguinetti, le 24 janvier dernier. Suite à un viol ayant eu lieu à l’université de York, ce dernier aurait conseillé à de jeunes femmes étudiantes d’« éviter de s’habiller comme des salopes si elles ne voulaient pas se faire agresser ». Les réactions ne se sont pas fait attendre.

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Toronto : « Ne nous dites pas comment nous habiller. Dites aux hommes de ne pas violer »

« Quand nous avons eu vent de cet agent de police, qualifiant des femmes victimes d’agressions sexuelles de “salopes”, nous avons voulu faire du bruit, demander plus qu’une excuse. On a le droit de s’exprimer et de se réunir, alors nous allons en profiter » peut-on lire sur le site SlutWalk Toronto, à l’origine du mouvement.

Le 3 avril, ses fondatrices, Heather Jarvis et Sonya JF Barnett, entre autres, lancent une première « Marche des salopes » dans la ville. Elle rassemble plus d’un millier de manifestants. « Cet incident (les propos du policier) était révoltant, et je suis heureuse que quelque chose de visible en soit sorti, et soit venu remettre en cause les stéréotypes autour du viol », exprime la féministe Jarrah Hodge, blogueuse canadienne. « Je ne pense pas que SlutWalks s’adresse aux droits des femmes en général, mais elles permettent à coup sûr de parler plus librement de la culpabilisation des victimes, et de la culture du viol. »

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À Sao Paulo, le 4 juin 2011. Une femme tient une pancarte : « le machisme tue »

Déculpabiliser les victimes

Viendront Boston, Vancouver, Sydney, Londres et Mexico. Exportable, l’idée est simple: dans leur lutte contre les stéréotypes souvent liés au viol, des femmes s’habillent volontairement de façon « provocante », parfois « comme des objets sexuels », pour revendiquer un droit : celui de s’habiller comme elles l’entendent, et de ne plus être considérées comme fautives dès lors qu’elles sont victimes d’agressions sexuelles. « Le but derrière SlutWalks n’est pas de dire que toutes les femmes doivent s’habiller de façon provocante, mais plutôt que nos tenues, provocantes ou non, ne sont en aucun cas un permis pour agression sexuelle », poursuit Jarrah Hodge.

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Londres, le 11 juin 2011. « Cul ≠ agression »

« On entend trop souvent des propos comme “oui, elle a été violée, mais elle était habillée de manière sexy…” ou “elle l’a bien cherché, elle était en jupe” », remarque Olivia Cattan, présidente de l’association française Paroles de femmes. « On nie la victime. C’est aux hommes de se tenir, pas aux femmes de se cacher », ajoute-t-elle. Dans les collèges du Val-d’Oise où elle intervient, Olivia Cattan observe un problème latent, celui de jeunes filles « qui cherchent à se rendre invisibles, qui sont en retrait » par peur de se faire traiter de « salopes ». Sur le marché du travail, elle voit des femmes qui « n’osent plus s’habiller court », si elles veulent exister auprès de leurs collègues masculins.

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« Marche des salopes » le 11 juin au Honduras, à Tegucigalpa

Se réappropriant l’usage détourné du terme « salope », les « Slutwalks » sont donc là pour rappeler aux femmes qu’elles n’ont pas à se sentir coupables quand elles sont agressées. « Quelle que soit la façon dont la femme est habillée, elle n’est pas responsable », insiste Thalia Breton, porte-parole d’Osez le féminisme. « On pense souvent qu’un viol, c’est une femme en mini-jupe au coin d’une rue, et un homme qui pète les plombs. Non, dans la majorité des cas, la victime connaît son violeur », explique t-elle.

Face aux clichés et représentations médiatiques des victimes de viol, manifestants et féministes revendiquent une liberté vestimentaire « très importante », et une plus grande place accordée aux femmes dans l’espace public. « Dans les Marches des salopes, il y a une volonté de choquer, de déconstruire les choses, d’interroger » analyse Thalia Breton.

Le terme « salope » en débat

« Les femmes sont en colère, car quand on les agresse, c’est automatiquement de leur faute », dénonce Chloe S. Angyal, rédactrice du blog américain Feministing.com. « Elles ne devraient pas être punies pour s’habiller de façon sexy.» La jeune femme se dit « très enthousiaste » devant l’ampleur du mouvement des SlutWalks, qui devrait se poursuivre à New York en octobre.

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« Crois-le ou non, mes vêtements n’ont rien à voir avec toi ». La « Marche des salopes » à Sydney, le 13 juin 2011

Mais selon elle, la raison de sa popularité, notamment auprès des médias, est aussi liée au fait « qu’il utilise un terme aussi populaire que “salope” ». « Oui, c’est peut-être provoquant, mais se réapproprier ce mot est très important. Cela nous permet de montrer la façon dont il est vraiment utilisé », explique Chloe S. Angyal. « Parfois, militer doit se faire dans la mise en scène, dans le bruit et l’exagération », note l’une de ses collègues, Samhita Mukhopadhyay, sur Feministing.com.

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La « Marcha de las vagabundas », le 18 juin à Brasilia, au Brésil

La semaine dernière, un article du New York Times, intitulé « Mesdames, nous avons un problème », a remis en question le concept des « Marches des salopes » dans la lutte pour l’égalité des genres et les droits des femmes. « Alors que les questions de sexe et de pouvoir, de culpabilité et de crédibilité, de genre et de justice sont si présentes et si urgentes, le fait que se déshabiller tout en s’appelant “salopes” passe pour une vraie répartie me rend furieuse », écrit Rebecca Traister dans l’article. « La mission des SlutWalks est cruciale, mais l’ensemble pose question, et laissent de jeunes féministes à même d’être attaquées sur ce qu’elles combattent. »

En France, des associations telles qu’Osez le féminisme et Paroles de femmes ne se sont pas directement associées à la « Marche des salopes » de Paris, organisée le 22 mai dernier par Étudions gaiment, Ladyfest et Scalp. Ce jour-là, celle-ci s’est faite en marge de la « Marche contre le sexisme » organisée conjointement par La Barbe, Osez le féminisme et Paroles de femmes.

Ces collectifs féministes ne sont pas en accord total avec le concept : « Le terme “salope” ne me plaît pas trop, reconnaît Olivia Cattan. Il dessert la cause. Aujourd’hui, on est obligé de rentrer dans ce jeu-là. D’utiliser des termes choquants pour alerter. » Pour Thalia Breton d’Osez le féminisme, « la conviction ne passe pas forcément par des actions choc ».

Mouvement mondial

Alors que le mouvement prend de l’ampleur à l’échelle mondiale, il continue d’interroger. En Australie, les termes « habillé-e comme une salope » ont interpellé certains blogueurs et même au Canada, son lieu d’origine, « la Marche des salopes semble être organisée en dehors des réseaux et organisations féministes traditionnels », relève la blogueuse Jarrah Hodge.

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À Édimbourg, le 18 juin 2011. « Je dis toujours non », peut-on lire sur cette pancarte.

La prochaine « SlutWalk » aura lieu en Inde, le 31 juillet. Mais, contexte oblige — avec 500 plaintes pour viol l’an dernier, New Delhi est tristement surnommée « capitale du viol » —, et « pour que le concept soit mieux compris », elle a été rebaptisée « Marche des effrontées ».

 

lu sur

le jura

 

Leur presse ( Valentine Pasquesoone, Libération.fr), 27 juillet 2011.

Publié dans mon corps m'appartient

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